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Interview – Feldub, remix à tous les étages

Toujours entre ombre et lumière, Feldub a le plus souvent mis ses talents de producteur au service des autres. Le dubmaker décide pour la première fois de mettre à contribution 10 artistes de la scène dub dans le but de remixer son précédent album “Weapon”. Prévu pour le 14 décembre, Weapon Remixes est tout en progression, du dub roots instrumental jusqu’à la drum & bass énervée. Pour le bordelais, pas d’hésitation, ce seront les potes qui auront carte blanche afin d’offrir une seconde vie aux tracks du projet. Les élus : The Subvivors, Dreadsquad, Dub Machinist, Artx, ODG, Fabasstone, Dub Invaders, Kandee, Woody Vibes et Roots Zombie. Confiné dans son studio, Feldub a pris le temps de nous parler des dessous du projet, de l’importance de sa structure Banzaï Lab et des aberrations que crée la crise sanitaire.

J’ai vu que tu avais pas mal de dates prévues pour faire tourner l’album Weapon en 2020. Entre-temps, la Covid est passée par là. Est-ce que cet album de remixes tu l’as conçu pour continuer de faire vivre l’EP à défaut de pouvoir le porter sur scène ?

Non, pas vraiment parce que j’avais déjà enclenché le processus juste après l’album. Je suis souvent sollicité pour faire des remixes et je n’avais jamais lancé l’idée pour ma propre musique. Je trouve ça cool parce que c’est toujours inspirant de faire des remix avec des gens. Malheureusement à cause de la Covid, c’est dur de trouver des lieux pour pouvoir faire tourner l’album. C’est bien dommage parce que cet été, j’avais plein de dates et je n’avais jamais tourné. Même si ce n’était pas volontaire. Je suis content de continuer à le faire vivre comme ça.

Comment s’est déroulé le développement de cet album ? Est-ce que tu savais quel artiste tu voulais pour les remix et comment tu t’es investi musicalement avec les artistes?

Je suis allé chercher des remixeurs en fonction de la track. Par exemple, j’ai demandé à Fabasstone de remixer “No Matter” parce que je cherchais quelque chose d’assez roots ou Woody Vibes sur “Darkmatters” parce que je voulais un son dub français qui tape un peu. Je les connaissais tous donc je savais à quoi m’attendre. Et au final, ce qu’ils ont pondu correspondait bien à ce que j’avais dans mon imaginaire. Dans l’ensemble, j’ai fait quelques retours sur quelques tracks pour des petites choses, mais globalement, je les ai laissés souverains de leur remix car il leur appartient plus qu’à moi.

D’ailleurs, j’ai trouvé qu’une majorité de morceaux comme “Step Along” remixé par Dreadsquad ou “Mad World” remixé par Dub Machinist étaient très posés. Est-ce que c’était une volonté de ta part ?

Le dénominateur commun c’était quand même des morceaux roots, mais suffisamment puissants pour la scène. En réalité, l’album est vachement progressif. On part sur du dub roots, et après sur du dark dub français pour finir sur des influences UK. Je voulais mettre les morceaux un peu plus roots au début et les morceaux plus énergiques à la fin.

Après, j’écoute toujours à mort du vieux dub des années 70, je n’arrive pas à m’arrêter, je suis un peu insatiable. J’ai presque 40 ans et j’ai aussi baigné dans la scène dub française, High Tone et compagnie. Le dub, je trouve ça intarissable. Les gens qui écoutent et qui disent que c’est toujours pareil, c’est qu’ils ne connaissent pas.

Sur Weapon, ton son est pourtant très actuel et aussi très orienté bass music, ça vient d’où ?

Le fait d’avoir monté le label Banzaï Lab il y a plus de 10 ans avec des potes, fait que j’ai évolué avec eux. Par exemple, dans mon label il y a Senbei ou Smokey Joe & the Kid. Qui sont vraiment des potes hyper proches que je connais depuis toujours. C’est avec eux qu’on a commencé à partager des scènes ensemble. On formait un crew de DJ, et on faisait des battles de hip-hop, de drum & bass et de dub. On commençait à 70 BPM et on finissait à 190 BPM du coup, je baigne dans la musique actuelle.

On produit plein de trucs avec Banzaï Lab. J’ai donc une oreille tendue vers d’autres scènes. La scène bass music, notamment parce qu’on avait une activité de producteurs de spectacles et que c’est vraiment quelque chose qu’on a développé à Bordeaux. Il n’y avait pas grand-chose, personne ne produisait ce genre de spectacle. On a commencé à faire venir la scène bass anglaise et américaine. Mais bon, feu le spectacle (rire).

Est-ce que tu te retrouves plus dans ton travail de producteur en studio ou si c’est plutôt la scène qui te fait vibrer ?

Les deux, mais maintenant j’ai fait le choix d’être plutôt musicien-producteur que musicien de scène simplement parce que j’ai un travail à côté et que je ne me consacre pas assez au live contrairement à tous mes collègues du label. Mais j’adore le live, j’adore le soundsystem et maintenant la situation que je préfère, c’est d’être derrière les barrières avec le sound qui crache.

C’est d’ailleurs la scène qui m’a grandement influencé et permis d’évoluer dans ma musique. Lorsque je jouais avec des groupes de reggae, les systèmes de diffusion dans les salles ont complètement changé la façon dont j’envisageais la production du son. Tu vois ce que tu peux faire, ça ouvre le champ des possibles. Et le soundsystem, ça m’a mis une grosse claque. Écouter ma musique sur un sound ça m’a fait produire différemment. D’ailleurs, ça se sent vachement dans mon dernier album par rapport aux premiers. Donc clairement l’interaction avec la scène ça te porte.

Du coup, tu le vis comment cette période bizarre qu’est la crise sanitaire de la Covid-19 ?

Je le vis un peu comme tout le monde. Mais pour moi c’est surtout l’occasion de se focaliser sur la production. Parce que je collabore aussi à distance puisque tout le monde est confiné, je peux solliciter plus d’artistes et je prépare la prochaine sortie.

On vit une époque étrange. Je suis bien impuissant, mais en tout cas on est dans la société est encore plus devenue une machine. Une machine qui relève de l’industrie. J’étais choqué de voir, justement, qu’en France et dans d’autres pays on était parti en lutte contre le fascisme, contre les situations incohérentes ou la toute-puissance de la finance. Et puis, tout d’un coup : Covid. Même dans la rue, les discours sonnent comme si on était en guerre. Donc en gros, si t’es pas patriote, tu vas te faire dégommer, ça pue.

C’est vrai qu’il y a pas mal de questions qui se posent, notamment liées aux professionnels du spectacle, aux artistes et surtout aux techniciens. Et les autorités semblent un peu oublier le secteur musical. Est-ce que tu partages ce constat ?

La musique actuelle, c’est un peu le parent pauvre de la culture, c’est pas la priorité. Mais j’ai la chance d’être en Aquitaine, c’est une région cool. On est très proche de toutes les instances territoriales liées à la musique et nous travaillons ensemble. On est dans une région où il y a quand même eu une attention qui est portée sur les structures.

Le problème c’est que cette crise c’est comme les dominos. Les artistes sortent des disques pour pouvoir tourner. Les tourneurs ne veulent plus s’avancer et les festivals sont bloqués. De nombreuses structures ont été aidées, comme dans plein d’autres secteurs, mais uniquement à la hauteur de ce qu’on avait prévu de faire. Mais maintenant ça fait un moment qu’on ne peut plus rien prévoir. Donc, on n’a pas de financement pour combler les manques à gagner qui sont évidents. Dans notre label, on a un gros disque que l’on n’a pas sorti à cause de ça.

Je ne tire pas spécialement à boulets rouges sur le gouvernement je le fais tout le temps, mais c’est pas grâce à Roselyne Bachelot qu’on va pouvoir sortir de ce marasme. La considération que le gouvernement porte à l’égard de ce secteur-là, c’est quand même hallucinant. Le public aussi ne se rend pas toujours compte qu’il y a les techniciens et tous les autres. La musique est bourrée de corps de métier. Je trouve que le problème, c’est que cette crise n’est pas interrogée de manière mondiale. On ne pense que pays par pays. Ce qui me fait halluciner dans cette histoire, c’est qu’on a l’occasion de se regarder comme une espèce et qu’on est incapable de le faire.

Heureusement, il y a encore des disques comme le tien qui sortent et qui regroupent des influences de partout.

Oui et c’est d’ailleurs le rôle de la musique d’avoir ce discours global. La musique, c’est le propre de l’Homme, et ça semble tellement évident qu’on n’en discute pas. Elle est partout et pourtant, elle n’est pas toujours considérée. Mais bon, il ne faut pas arrêter de produire et il ne faut pas perdre espoir.

By Senaar aka Tschani Boulens TEAM SELECTA KZA

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